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Le 12 février 2024, la 3ème chambre de la Cour administrative d’appel de Marseille a rendu un arrêt qui soutient la demande de titre de séjour d’une ressortissante tunisienne qui était victime de violences conjugales.
Par Me Fayçal Megherbi, avocat
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 6 décembre 2022 par lequel le préfet du Var a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office. Par un jugement n° 2300053 du 20 avril 2023, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 24 mai 2023, Mme B..., demande à la Cour : d'annuler ce jugement du 20 avril 2023 du tribunal administratif de Toulon et d'annuler l'arrêté du 6 décembre 2022 du préfet du Var et d'enjoindre au préfet du Var de lui délivrer un titre séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir. Elle soutient que le préfet a commis une erreur de droit en examinant sa demande d'admission au séjour uniquement sur le fondement des articles L. 423-1 et L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors que sa demande était fondée sur les dispositions de l'article L. 425-6 de ce code ; elle considéré que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne l'admettant pas au séjour alors qu'elle est victime de violences conjugales et a commis une erreur de droit en se limitant à la circonstance qu'elle n'avait pas obtenu d'ordonnance de protection du juge aux affaires familiales pour rejeter sa demande sans apprécier l'ensemble des éléments de sa situation personnelle ;
La requête estime aussi que l'arrêté en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En effet, Mme B..., ressortissante tunisienne, a sollicité le 4 mai 2021 son admission au séjour à raison des violences conjugales commises par son époux, de nationalité également tunisienne. Par un arrêté du 6 décembre 2022, le préfet du Var a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourrait être reconduite d'office. Mme B... relève appel du jugement du 20 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
Pour refuser le titre de séjour sollicité par Mme B..., le préfet du Var s'est fondé sur la circonstance que l'intéressée ne pouvait se prévaloir des dispositions de l'article L. 425-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, au motif que son époux n'était pas français, qu'elle ne pouvait invoquer la violation de l'article L 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et que la décision ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit à sa vie privée et familiale, ni n'était entachée d'erreur manifeste d'appréciation. Devant les premiers juges, le préfet du Var a substitué la base légale tirée de l'article L 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à celle du L. 425-3 initialement retenue, et relevé que Mme B... ne remplissait pas les conditions prévues par ces dispositions.
D'une part, aux termes de l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, inscrit à la section 2 " Etranger placé sous ordonnance de protection (articles L. 425-6 à L. 425-8 ) " du chapitre V " Titres de séjour pour motif humanitaire (articles L. 425-1 à L. 425-10) " du titre II de ce code: " L'étranger qui bénéficie d'une ordonnance de protection en vertu de l'article 515-9 du code civil, en raison des violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin se voit délivrer, dans les plus brefs délais, une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Une fois arrivée à expiration elle est renouvelée de plein droit à l'étranger qui continue à bénéficier d'une telle ordonnance de protection. / Lorsque l'étranger a porté plainte contre l'auteur des faits elle est renouvelée de plein droit pendant la durée de la procédure pénale afférente, y compris après l'expiration de l'ordonnance de protection ". Aux termes de l'article L. 425-8 du même code : " En cas de condamnation définitive de la personne mise en cause, l'étranger détenteur de la carte de séjour prévue aux articles L. 425-6 et L. 425-7 ayant déposé plainte pour des faits de violences commis à son encontre par son conjoint, son concubin ou le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité, ou pour des faits de violences commis à son encontre en raison de son refus de contracter un mariage ou de conclure une union ou afin de le contraindre à contracter un mariage ou à conclure une union, se voit délivrer une carte de résident d'une durée de dix ans. / Le refus de délivrer la carte de résident prévue au premier alinéa ne peut être motivé par la rupture de la vie commune avec l'auteur des faits. ".
D'autre part, aux termes de l'article 515-9 du code civil : " Lorsque les violences exercées au sein du couple, y compris lorsqu'il n'y a pas de cohabitation, ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin, y compris lorsqu'il n'y a jamais eu de cohabitation, mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection. ". Aux termes de l'article 515-11 de ce code : " L'ordonnance de protection est délivrée, par le juge aux affaires familiales, dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date de l'audience, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés. A l'occasion de sa délivrance, après avoir recueilli les observations des parties sur chacune des mesures suivantes, le juge aux affaires familiales est compétent pour : 1° Interdire à la partie défenderesse de recevoir ou de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le juge aux affaires familiales, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit ; 1° bis Interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le juge aux affaires familiales dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse (...). ". Aux termes de l'article 132-40 du code pénal : " La juridiction qui prononce un emprisonnement peut, dans les conditions prévues ci-après, ordonner qu'il sera sursis à son exécution, la personne physique condamnée étant placée sous le régime de la probation. (...) ". Et aux termes de l'article 132-45 de ce code : " La juridiction de condamnation ou le juge de l'application des peines peut imposer spécialement au condamné l'observation de l'une ou de plusieurs des obligations suivantes : (...) 9° S'abstenir de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone spécialement désignés ; (...) 13° S'abstenir d'entrer en relation avec certaines personnes, dont la victime, ou certaines catégories de personnes, et notamment des mineurs, à l'exception, le cas échéant, de ceux désignés par la juridiction ; (...) "
Il ressort des pièces du dossier que, par un jugement du 11 janvier 2021 devenu définitif, la chambre des comparutions immédiates du tribunal judiciaire de Toulon a condamné l'époux de Mme B..., qui était en détention provisoire depuis le 9 janvier à la suite d'une plainte déposée par l'intéressée le 7 janvier, à dix-huit mois d'emprisonnement dont six mois avec sursis probatoire de deux ans avec maintien en détention, pour des faits de violence sans incapacité commis entre juin 2020 et le 8 janvier 2021, et pour des faits de violence aggravée par trois circonstances suivie d'incapacité inférieure à huit jours commis le 6 janvier 2021. Par le même jugement, le tribunal a prononcé des obligations qui interdisent à l'époux de Mme B... de paraître à son domicile ou à ses abords et d'entrer en contact avec elle, en application des dispositions mentionnées au point 3 des 9° et 13° de l'article 132-45 du code pénal.
Il résulte des dispositions combinées des articles L. 425-6 et L. 425-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que, lorsque, comme en l'espèce, l'étranger, victime de violences commises à son encontre par son conjoint n'a pu bénéficier, du fait de la mise en œuvre d'une procédure de comparution immédiate, d'une ordonnance de protection prise en urgence par le juge aux affaires familiales sur le fondement de l'article 515-9 du code civil, mais que son conjoint a été condamné à une peine assortie de mesures définitives de protection telles que celles prévues aux 9° et 13° de l'article 132-45 du code pénal qui, par leur objet et leur nature, sont équivalentes aux mesures provisoires que peut prononcer le juge civil en application des 1° et 1° bis de l'article 515-11 du code civil, il est fondé à demander la délivrance de la carte de séjour temporaire prévue par l'article L. 425-6 avant de pouvoir prétendre, le cas échéant, à l'occasion du renouvellement de ce titre, à la délivrance d'une carte de résident en application de l'article L. 425-8. Mme B... est ainsi fondée à soutenir que le préfet du Var a commis une erreur de droit, d'une part, en rejetant sa demande de titre de séjour en application des articles L. 423-1 et L. 423-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans le champ d'application desquels elle n'entre pas, et sur le fondement duquel elle n'avait pas demandé de titre, dès lors que son époux n'était pas ressortissant français, et, d'autre part, en opposant en première instance qu'elle ne pouvait bénéficier de la carte de séjour prévue à l'article L. 425-6 du même code en l'absence d'ordonnance de protection délivrée par le juge aux affaires familiales.
Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 6 décembre 2022 du préfet du Var. Ce jugement et cet arrêté doivent dès lors être annulés.
Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la Cour administrative d'appel de Marseille a décidé d'annuler le jugement n° 2300053 du 20 avril 2023 du tribunal administratif de Toulon et l'arrêté du 6 décembre 2022 du préfet du Var.
Enfin la Cour administrative a enjoint au préfet du Var de délivrer à Mme B... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an sur le fondement de l'article L. 425-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Référence : CAA de MARSEILLE, 3ème chambre, 12/02/2024, 23MA01295